Cet interview a été réalisé par Lou- Ange Boyat dans le cadre de l’exposition Suivre la trace.
Portrait d’artiste – Tatiana Bailly. Le 30 septembre 2023, Orangerie du Parc de la Tête d’Or, Lyon
Lou-Ange BOYAT : La première chose à laquelle tu as pensé/faite ce matin ?
Tatiana BAILLY : Manger, préparer mes nombreuses affaires, et regarder ma liste pour être sûre de tout cocher. J’ai aussi continué à travailler sur certaines de mes créations. Mon travail est à l’image de ma vie, en constante transformation. Mon cerveau n’arrête jamais, dès le matin, il turbine.
L-A. B : Si tu étais une mauvaise habitude ?
T.B : La rumination, l’anxiété, l’autodénigrement, et la procrastination, évidemment. Cependant, c’est dans ces moments de deadline et d’imprévus que j’arrive à créer. Ma démarche artistique est remplie d’imprévus du quotidien. Par exemple, comme on peut le voir dans l’exposition, j’ai exposé une série d’éprouvettes brisées. A la base, elles ne devaient pas être cassées. Ces moments d’imprévu sont ainsi des moments intenses de création.
L-A. B : Le hasard occupe ainsi une grande place dans ta création artistique ?
T.B: Totalement. Hasard, imprévu, aléatoire… mais que je me réapproprie. C’est ce qui me met en mouvement, davantage que des contextes de création où je devrais me poser de telle heure à telle heure. Des choses viennent se révéler dans ces moments accidentels, qui me dépassent.
L-A. B : Est-ce que tu écoutes de la musique quand tu crées ? Si oui, quel genre ?
T.B : Parfois oui, parfois non. Je travaille parfois dans un grand silence. J’écoute parfois de la musique de concentration, même si ce n’est pas du grand art. Cela me permet de me détendre quand je suis stressée et que je fais des choses très répétitives, j’ai besoin de faire taire le mental. J’aime aussi écouter Nick Cave, mais c’est vraiment par période. Une partie de mon travail est aussi basé sur l’écriture, c’est donc plus un travail intellectuel dans lequel j’ai besoin d’une concentration particulière.
L-A. B : Comment l’architecture de l’Orangerie a-t-elle été une inspiration pour ta création, si elle l’a été ?
T.B : J’aime beaucoup travailler avec les lieux. En ayant eu l’opportunité avec les années de travailler dans des espaces plus grands, je me suis rendu compte à quel point j’ai pu créer petit. Ayant une influence très végétale, j’ai tout de suite été inspirée par l’Orangerie. Je travaille beaucoup par anticipation, je suis ainsi venue plusieurs fois visiter cet espace, afin de m’imprégner de l’architecture. Ces trois jours de préparation d’exposition sont de vrais moments de création pour moi, je ne suis pas simplement en train de mettre en place une scénographie. C’est un moment éprouvant car je m’occupe à la fois de l’accrochage tout en pensant à la valorisation de l’espace. J’aime voir ce qu’il se passe sur place. Il y a le rapport au lieu et au temps qui s’articulent, et c’est cette combinaison qui me fait créer. Je réintroduis le présent dans mes œuvres, jusqu’au dernier moment.
L-A. B : Comment naît ton processus créatif ? Pourrais-tu le nommer ?
T.B : Je parlerais de lien. Le lien au lieu, aux gens qui l’habitent, aux rencontres. Je récupère des objets de fils en aiguille, sur mon passage. Pour S’En-paysager, se Dépaysager, j’ai récupéré une table de l’Orangerie ainsi que la pergola de mon ancien lieu de résidence, la Factatory. Je parlerais aussi de cocréation, on ne peut pas toujours créer seul. Je crée avec des gens, en interdépendance. J’aime bien entremêler les petites histoires et tout réagencer dans ma tête afin de présenter un moment T, qui est unique. Je réutilise tout de même mes matériaux, je parle de compostage dans mon travail, par soucis écologique, mais aussi car je ne veux pas entasser.
L-A. B : As-tu de futurs projets ?
T.B : J’ai des projets participatifs avec des artistes, autour des questions écologiques, scientifiques, de décloisonnement des pratiques. J’ai eu une grosse actualité durant le mois de Septembre, donc je pense qu’il est temps pour moi de faire une petite pause. De plus, étant intervenante, je donne des ateliers dans des centres sociaux, dans des collèges, me permettant de créer avec ces élèves.
Site Web de l’artiste Tatiana Bailly