Cet interview a été réalisé par Lou- Ange Boyat dans le cadre de l’exposition Suivre la trace.
Portrait d’artiste – Aline Isoard. Le 1er octobre 2023, Orangerie du Parc de la Tête d’Or, Lyon
Anthony Morel

Lou-Ange BOYAT : La première chose à laquelle tu as pensé/fait ce matin ?

Anthony MOREL : Que je serais bien parti en Savoie !

L-A B : Si tu étais une mauvaise habitude ?

A. M : La procrastination.

L-A B : Écoutes-tu de la musique quand tu crées ? Si oui, quel genre ?

A. M : Je privilégie le calme.

L-A B : Est-ce qu’il y a des artistes qui t’inspirent pour créer ?

A. M : Il y en a qui alimentent une réflexion, notamment les approches environnementales dans les années 1970, le land art anglais, qui porte une sorte de romantisme, comme quoi la nature est belle. C’est une réflexion simpliste mais bienveillante. Quelque part, j’ai envie que mon travail ne soit pas moralisateur, mais qu’il soit une contemplation, comme les peintures de Friedrich, Turner…C’est en contemplant la nature qu’on apprend à l’observer.

L-A B : Comment l’architecture de l’Orangerie t’a-t-elle inspirée pour créer tes œuvres ?

A. M : Quand on m’a proposé d’exposer dans l’Orangerie, je n’ai pas pu venir faire de visite. Cependant, je pensais que ça ne menait à rien de poser des pièces déjà produites dans un si bel endroit. C’est un lieu qui engage forcément un dialogue avec l’espace et donc à produire des œuvres qui sont faites pour s’intégrer à cet espace. J’ai travaillé avec les verrières de l’Orangerie, et j’ai donc produit un cyanotype en gaze de coton qui travaille avec la lumière et la grandeur de ces fenêtres. Pour moi, cela a du sens, car je travaille énormément avec la lumière du soleil.

L-A B : Pourrais-tu nommer ton processus créatif ?

A. M : L’éloge de la lenteur. Je passe mon temps à courir après le temps.

L-A B : Est-ce que tu as de futurs projets ?

A. M : Oui, j’ai acquis un terrain dans le Vaucluse il y a quelques mois, mon but est de créer un espace d’expérimentation lié à ma pratique. J’aimerai également que cela soit un lieu pour diffuser, échanger et transmettre les recherches que je mets au point. D’ici quelques mois, j’espère que cet atelier sera un espace autonome.

L-A B : Toujours en restant très proche de la nature ! J’ai également vu que tu pratiquais l’escalade, elle occupe d’ailleurs une certaine place dans ta création.

A. M : L’escalade est même à l’émergence de ma création artistique, elle a une place centrale. J’ai d’ailleurs fait toute une série en 2005 nommée « Déshorizon », composée d’autoportraits dans lesquels je grimpais dans les falaises de la Sainte-Victoire. Je créais des points de renvois dans la falaise qui me permettaient de me mettre moi ainsi que mon matériel photographique à la perpendiculaire de celle-ci. J’envisageais l’espace vertical comme s’il était horizontal. J’exposais ainsi ces autoportraits à l’horizontal. Ce qui me fascinait, c’était de réinventer du paysage. La falaise, à l’horizontal, devient un désert. Mon personnage se retrouve ainsi au milieu d’un No man’s land. Le rapport du corps au paysage a toujours été très important pour moi. J’ai toujours envisagé la pratique photographique comme une pratique performative. J’estime que ce qui crée le regard c’est la posture. On regarde avec les yeux, mais également avec le corps.

L-A B : Le hasard a-t-il une place dans ton travail ?

A. M : J’accueille l’accident. Je ne parlerais pas forcément de hasard. Ce n’est jamais vraiment du hasard, à partir du moment où on provoque des réactions. Je cultive l’accident, qu’il soit physique ou technique. C’est dans ces moments là que les choses émergent. Rien ne me fait plus peur que de maîtriser quelque chose. Quand j’arrive à un point de maîtrise d’un procédé où d’un protocole, je le fuis. Je ne veux pas tomber dans une pratique de l’exercice. Ce qui m’intéresse, c’est l’empirisme. Je veux découvrir les phénomènes et me les réapproprier pour les emmener plus loin.

L-A B : D’où vient-tu et est-ce que cela a eu un impact sur ta création ?

A. M : Je viens de Franche-Comté, au bord d’une grande forêt. J’ai eu une très grande éducation à la nature. Mine de rien, tout ce que j’ai expérimenté en étant gamin en grimpant dans les arbres, en me perdant en forêt, sont des choses qui sont revenues puissance dix dans mon travail d’artiste.

L-A B : Est-ce que Jojo, ta chienne, a une place dans ta création ?

A. M : Je dirais malgré moi, mais avec un grand plaisir. On communique énormément, elle me suit partout, notamment sur mes séances de prises de vues, elle est aussi parfois sujet de mes photographies. Je suis très mal à l’aise à prendre de l’humain en photo. C’est pour cela que quand il y a de l’humain, je suis le modèle. Je comprends totalement tous ces peuples qui considèrent que prendre leur image, c’est leur voler quelque chose. Je trouve ça violent et intrusif. Pour Jojo, c’est pareil. Je suis si proche d’elle que j’ai également du mal à la prendre en photo. Elle est un individu à part entière avec qui j’ai partagé énormément de choses. Parfois, elle apparaît sur mes créations comme un écho. J’adore les endroits inaccessibles, souvent, physiquement, c’est très dur. Et c’est génial de ne pas être seul, elle me suit toujours avec grand plaisir. Je déteste les sentiers, je traverse les paysages peu importe les obstacles que je rencontre. Cela me ramène à l’espace qu’on occupe en tant qu’être humain, à la nature. Quand c’est un espace qu’on occupe régulièrement, peu à peu les sentiers vont se former, comme le feraient les animaux en forêt. J’aime ce rapport au temps, long, qui mène à marquer le territoire par son passage. Le travail de Richard Long sur la marche (A line made by walking, 1967), me touche beaucoup. Nous sommes des êtres humains faisant partie d’un tout. On ne traverse que des paradigmes, qu’il faudrait exploser pour retrouver notre rapport à la nature, même en pleine ville, qui est une nature remodelée par l’homme.  

Site Web de l’artiste Anthony Morel