Cet interview a été réalisé par Lou- Ange Boyat dans le cadre de l’exposition Suivre la trace.
Portrait d’artiste – Aline Isoard. Le 1er octobre 2023, Orangerie du Parc de la Tête d’Or, Lyon
Lou-Ange BOYAT : La première chose que vous avez fait ce matin en vous levant ?
Aline ISOARD : Penser à la journée.
L-A B : Si vous étiez une mauvaise habitude ?
A.I : Je n’aime pas les habitudes. J’aime bien quand les choses changent tout le temps, parce que je trouve que la vie est courte. J’aime quand les choses chez moi changent de place. Je fais tourner les meubles quand je peux ! Comme mes sculptures, on peut les changer de sens, les coucher, les mettre à l’envers. Les choses toujours à la même place, c’est ennuyeux.
L-A B : Les choses ne sont jamais fixes.
A.I : C’est fixe un temps, et puis on change. Dans mes photos, c’est le temps qui change. Celles-ci sont prises en pleine vitesse, je ne m’arrête jamais pour prendre une photo, car mon mari conduit. Quand on est passager, il y a tellement d’images qui défilent. Elles sont très variées, et il faut s’occuper les yeux ! La photographie en elle-même est rapide, car ce n’est que du mouvement : il y a le mouvement de la voiture, des autres véhicules, de mon corps, de mon appareil. On dirait cependant que mes photos sont arrêtées. Une fois triées et imprimées, je travaille sur le papier en enlevant l’encre. C’est un travail très lent. J’ai ainsi deux temps sur une même image. Je dis souvent que je travaille comme un peintre. Avec ma photographie, je travaille en retirant très peu l’encre, car une fois enlevée, je ne peux pas revenir en arrière. J’observe ensuite ma photographie modifiée.
L-A B : Ce moment de création est ainsi un temps d’introspection pour vous ?
A.I : Exactement. Le calme me permet de trouver ce que l’image me raconte. Elle me raconte quelque chose quand je la prends, et ensuite, j’en propose une nouvelle.
L-A B : Est-ce que des artistes ou des œuvres vous inspirent pour créer ?
A.I : Sans doute. Mais je ne cherche pas l’inspiration. Je suis une ancienne professeur d’art plastiques. Mon métier était de faire aimer tous les sculpteurs, peintres et artistes aux élèves. Je n’ai pas de préférence, ou alors profondément cachée. J’aime cependant quand les gens trouvent des échos artistiques dans mes œuvres, car je me dis que j’ai réussi à travailler l’image et à faire suggérer au spectateur un autre univers.
L-A B : Comment l’architecture de l’Orangerie vous a inspirée à créer, si c’est le cas ?
A.I : J’ai énormément de pièces, je ne les ai pas choisies pour cette exposition. Je vais de la miniature au format 90×90. J’ai également retouché quelques pièces, en pensant à l’exposition, en ajoutant notamment des graphismes à mes sculptures. J’ai été étonnée du choix de Jean-Louis Ramand et Blandine Boucheix. Je trouve que le mélange fonctionne bien. Par exemple, je trouve cela intéressant qu’ils aient choisi d’exposer Pont GF1 (2016), alors que les autres photographies ont été prises dans des rétroviseurs. Les autres sont des paysages sur routes, travaillés sur des papiers différents. Leur point commun, c’est qu’elles sont des images dans des images. Pour moi, la photographie est un travail sur les bords. Au début de mon travail, ce qui m’intéressait, c’était la transparence. Je travaille sur le verre, car il exprime cette transparence et me permet de travailler sur les deux faces. De plus, le verre tient debout, contrairement au plexiglass, qui est plus mou. Avec mes sculptures, les bords disparaissent. Je perçois cela comme de la peinture dans l’espace. Je voulais également travailler le miroir, car il inclut une image mobile extérieure et qui change en fonction des lieux.
L-A B : Cela ferait ainsi écho avec notre discussion précédente, où vous indiquiez que pour vous rien n’est jamais fixe.
A.I : Exactement. Avec un miroir, l’environnement est changeant. Mon travail tourne autour de la transparence et du mouvement. Concernant mes photographies, elles sont aussi mises sous verre pour rappeler la transparence. J’ai notamment exposé dans une chapelle, où j’ai exposé mes sculptures en verre, alors que je ne pensais jamais les montrer. C’est en ressortant ces pièces que j’ai pu comprendre qu’elles avaient un réel intérêt.
L-A B : Est-ce que vous pourriez nommer votre processus créatif ?
A.I : La photographie dépigmentée, car je gratte le pigment du papier. Je gratte avec des outils que j’invente depuis maintenant quinze ans. Mes outils dépendent également des papiers que j’utilise. J’invente également beaucoup afin de rapprocher les plans, faire en sorte qu’ils se confondent.
L-A B : Quand avez-vous débuté la photographie ?
A.I : J’avais pris des cours de photographie au lycée. Willy Ronis était mon professeur. Il m’a fait découvrir l’argentique, mais j’étais frustrée car je ne voyais pas le résultat. Quand le numérique a vu le jour, c’était extraordinaire. Cela me permettait de voir directement le résultat, même si ma photographie était floue ou mal cadrée. Ce qui est également intéressant, c’est de changer de place, ou même de changer de véhicule. Il me faut parfois du temps pour calculer ce qui va apparaître dans les rétroviseurs, afin de capter une image intéressante. Je ne peux pas calculer tout ce qui va arriver. Il y a des photographies que je n’avais pas prévues. Je profite de mes déplacements avec mon mari. J’ai commencé à prendre des photographies dans notre voiture car je m’ennuyais. De plus, dans la voiture, j’ai tous les éléments que j’apprécie : le verre, le miroir, le mouvement…Je voulais partir de tout et enlever les éléments au fur et à mesure pour arriver à l’essentiel.
Site Web de l’artiste Aline Isoard