Cet interview a été réalisé par Manon Kiening dans le sillage de l’exposition Curiosités d’être(s).
Portrait d’artiste – Silène AUDIBERT. Le 8 octobre 2021, Orangerie du Parc de la Tête d’Or, Lyon
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Silène Audibert Interview

Manon Kiening : Quelle est la première chose que tu as faite aujourd’hui ?

Silène Audibert : Je reste dans mon lit pour être dans un état de semi-éveil. C’est dans cet interstice que j’attrape les dessins qui seront réalisés le jour même ou les jours suivants.

M. K. : Si tu étais une mauvaise habitude ?

S. A. : Travailler dans l’urgence avec la pression, transpirer et aimer ça.

M. K. : Quel(s) genre(s) de musique écoutes-tu en travaillant ?

S. A. : C’est très changeant. J’écoute du jazz, du rock, la Chica, Nina Simone. J’aime bien être entraînée dans un son puissant qui emplit l’espace et rythme mon travail.

M. K. : Y a-t-il une œuvre ou un artiste qui t’ont inspirée dans ta vie d’artiste ?

S. A. : Bien sûr, j’affectionne particulièrement Roland Topor pour son dessin incisif dans Dessins Paniques, c’est sombre, très poétique et critique. J’apprécie de nombreux dessinateurs depuis l’illustration, la figuration, voir même jusqu’à la peinture. Je suis touchée par les travaux de Louise Bourgeois, Jenny Saville, Pierrette Bloch, il y en a beaucoup.

Silène Audibert - O-Rage

M. K. : Comment l’architecture de l’Orangerie a inspiré le travail que tu présentes dans cette exposition ?

S. A. : L’espace m’a guidée pour faire de grands formats. Ce que je présente vient à la suite d’un projet réalisé en résidence. Je me suis intéressée à la relation femme-nature et au récit de l’intime à travers l’écoféminisme. Je me suis appuyée sur mes sentiments au moment de ce démarrage de projet et cela c’est nommé O-RAGE. Le lien avec le lieu est indéniable puisque je traite le vivant et les liens entre végétation et corps. Pour cette série j’ai choisi de travailler sur l’eau, un élément important, féminin. J’ai donc fait des grands aplats de bleu sombre m’inspirant des fleuves qui charrient des troncs, j’ai déposé des réserves de blanc pour définir des membres, des troncs, des parcelles de corps. J’ai cherché des rapports entre le fleuve et le récit féminin : il y a les Gorgones, les naufragés, les ondines… J’ai réalisé avoir dessiné plusieurs fois déjà des naufragés. Il s’agit de personnes emportées dans un chaos, elles sont en contact complet avec l’eau comme enveloppe. Je voulais montrer la rage et la furie, la manière dont nous sommes malmenés par l’extérieur, par l’intérieur.

M. K. : Quels paradoxes fais-tu se confronter dans O-Rage ?

S. A. : Les paradoxes sont dans le noir d’où quelque chose naît. J’aime bien cet espace d’ambiguïté. Je ne veux pas être dans un récit sombre mais dans un récit montrant une renaissance. Le féminin c’est le sang, c’est la naissance, c’est cette violence qui est une grande force vitale nous permettant de nous encrer au réel. La force est dans le caché, dans l’en-dessous, cette force vitale nous porte.

Silène Audibert - O-RAGE - Rivière
Silène Audibert / O-RAGE - Rivière

M. K. : C’est une histoire de paradoxes. J’ai senti dans O-RAGE un fleuve dans lequel des choses se coincent et refont un en s’opposant au perpétuel mouvement du fleuve.

S. A. : Oui c’est ça. J’ai vu sur le bord du fleuve des amas de petites brindilles ou de grands arbres charriés qui composent une sculpture. J’aime beaucoup cette idée de formation de structures, composées d’éléments unitaires et qui se forment dans un principe d’accumulation. J’aime aussi l’idée que le paysage est fait à partir de multiples brindilles et nous à partir de multiples évènements.

M. K. : Quels sont tes futurs projets ?

S. A. : Je vais certainement continuer cette série ou tout du moins l’espace de l’eau et du surgissement. Je vais aussi poursuivre des recherches de techniques pour travailler sur des supports à révéler comme ce principe de carte à gratter, pour travailler dans la surprise et la révélation. Pour le cadre, c’est toujours le paysage en résonance avec la figure. Pour cela je rêve d’être en résidence en pleine nature.

Silène Audibert - O-RAGE - Gorgone
Silène Audibert / O-RAGE - Gorgone
Silène Audibert - O-RAGE - Fontaine
Silène Audibert / O-RAGE - Fontaine

M. K. : Tout cela est aussi lié à tes lectures.

S. A. : Je vais me lier avec des auteures pour entrer dans un travail d’échange et de correspondance, pour dire et regarder de plus près les lieux du récit qui m’animent. La création de la série O-RAGE a été accompagnée d’une nouvelle de Caroline Audibert. C’est une histoire de tempête avec une femme emportée par un fleuve. C’est un récit d’ambiguïté entre la violence et le vécu de celle-ci. Elle se laisse entraîner, elle est ensuite sauvée. À la fin, nous comprenons sans un mot qu’elle choisit de se laisser emporter, comme une libération. Ces récits sont superbes puisqu’ils sont très sensibles et intimes, ils génèrent énormément d’images chez moi. Je me demande comment nous naissons aux choses, comment nous choisissons d’être entraînés et par quelle(s) force(s).

M. K. : Tu as souvent travaillé là-dessus dans les projets précédents.

S. A. : Le récit est un lieu de formes très prolifiques dans mon esprit. J’ai d’ailleurs envie de travailler en écho avec du texte pour des projets d’édition, pour un lieu de correspondance, d’échange, de formes dédiées à… Les sujets fleurissent aujourd’hui sur le sensible qui me porte quant à la condition de la femme, l’inconscient, la nature primitive, la nature sauvage. J’ai envie d’être stimulée par l’excitation de la correspondance. C’est un lieu de fourmillement riche par la découverte de l’autre.

Silène Audibert - Parure - Robe d'os
Silène Audibert - Parure - Robe d'os
Silène Audibert - Parure - Robe d'os
Silène Audibert - Parure - Robe d'os (détail)

Site Web de l’artiste Silène Audibert

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