Cet interview a été réalisé par Manon Kiening dans le sillage de l’exposition Curiosités d’être(s).
Portrait d’artiste – Handan FIGEN. Le 8 octobre 2021, Orangerie du Parc de la Tête d’Or, Lyon
Manon Kiening : Quelle est la première chose que tu as faite aujourd’hui ?
Handan Figen : Quel matin ? Je me suis réveillée plusieurs fois ce matin. Je pense que j’ai préparé le biberon de ma fille, elle est gourmande. Si je ne le fais pas, c’est la crise.
M.K. : Quel genre de musique écoutes-tu en travaillant ?
H.F. : Je ne peux pas travailler sans musique. Je n’ai malheureusement pas d’atelier en ce moment donc c’est compliqué. Avant j’écoutais beaucoup le pianiste de jazz Keith Jarrett. Il est seul avec son piano et il fait des sons sans chanter. Sa musique me mettait dans un environnement isolé qui me guidait. J’écoutais aussi du classique, du rock et de la musique pop, c’est vraiment varié. J’ai un mari musicien, il a fait des études de musique contemporaine et du jazz.
M.K. : Y a t-il une œuvre ou un artiste qui t’ont inspiré dans ta carrière d’artiste ?
H.F. : Tous les piliers de l’histoire de l’art mais je pense qu’ils inspirent tout le monde. En artiste contemporain, je suis beaucoup Claire Morgan, elle fait des installations en lévitation et elle travaille avec des animaux empaillés. Son univers n’est pas très loin des artistes qui exposent ici à l’Orangerie. Il y a aussi Vija Celmins, elle fait des dessins qui se rapprochent de ceux de Jeanne, et ceux de Jeanne se rapprochent des miens. Ce sont des dessins de la nature, très fidèles à la réalité, très détaillés. Elle m’a beaucoup influencée quand j’étais étudiante.
M.K. : Comment l’architecture de l’Orangerie a inspiré le travail que tu présentes dans cette exposition ?
H.F. : Je n’avais pas en tête de faire une installation pour cette exposition. L’idée était simplement de soumettre mes dessins. Quand nous avons visité les lieux, ça m’a tout de suite donné envie d’en faire une. Je n’en avais fait qu’une seule fois en 2015 pour une exposition solo à Istanbul dans la galerie Sanatorium. Je pense que la grandeur du lieu m’a inspirée pour créer l’installation. La transparence et la lumière m’ont beaucoup plu.
M.K. : Quelle est la place du hasard dans ta vie d’artiste ?
H.F. : Avant, j’avoue qu’il n’y avait pas de place. Le projet que j’expose ici, Tâche Difficile ou L’œuvre du hasard, est fait pour inclure le hasard dans mon travail et lui laisser plus de place. J’avais tendance à beaucoup prévoir, à imaginer à l’avance à quoi mon travail allait ressembler quand il serait fini. Il y avait la volonté de casser l’habitude de tout contrôler. Sans Tâche difficile, l’installation n’aurait pas existé. Pour les autres projets, ça ne prend pas tant de place que ça.
M.K. : Je vois quand même dans ton travail d’installation une place au hasard. Je pense que tu n’as pas prévu fil par fil ce que tu allais faire, le temps que tu allais y passer ; quand nous tournons autour nous ne voyons pas tous la même chose.
H.F. : Il y a aussi le hasard de la lumière du jour.
M.K. : Nous y voyons ce que nous voulons. Tu n’as pas donné de titre à ton œuvre et elle n’est pas figurative. Il me semble que des personnes y voient un cou de girafe?
H.F. : Oui, une petite fille m’a demandé « C’est quel animal ? », ce n’est pas un animal. Mais ça me fait plaisir. Je n’ai pas eu le temps créer l’installation à l’avance donc j’ai dû découvrir beaucoup de choses au moment même, ça a été des contraintes et des avantages. Certaines choses sont arrivées que je n’attendais pas.
M.K. : Et peut-être qu’avant de créer les Tâche difficile, tu n’aurais jamais entrepris quelque chose d’aussi aléatoire au niveau du programme ?
H.F. : C’est vrai, ça m’a donné le courage de me lancer dans de tels projets. C’est peut-être grâce à Tâche difficile que j’ai pu créer ce type d’installation sans savoir ce que ça donnera finalement. C’était vraiment stressant puisque je savais que j’avais seulement deux jours pour la faire, même si j’ai essayé de prévoir tous les aléas possibles, c’était impossible de prévoir. C’était un défi.
M.K. : Avec cette place créée au hasard, penses-tu que le public participe activement à ton travail ? L’interprétation du spectateur fait-elle partie de la composition de ton travail ?
H.F. : Oui, surtout pour le projet Tâche difficile. Avant de dessiner je partageais beaucoup mes Tâche avec mes collègues, avec des passants dans l’atelier, j’envoyais une photo à ma famille pour savoir ce qu’ils voyaient dans la tâche. Une grande partie de ce projet invite à jouer le jeu que je joue avec mes tâches, comme je jouais avec les nuages quand j’étais petite. Je regardais, je jouais à faire des devinettes. Ce qu’on voit est très interactif, comme pour l’installation.
M.K. : ll y a aussi le fait que tu continues l’installation lorsque le public est présent.
H.F. : C’est ça. Le dessin n’est pas visible sur les Tâches, ce sont des œuvres très invitantes pour le public, il va s’approcher, chercher ce qu’il y a à voir. J’ai eu une remarque quand je passais mon diplôme des Beaux-Arts à Paris, ce qui est vraiment le début de ce projet : on m’a dit que c’est tellement petit qu’on ne voit pas. Mais le but ce n’est pas de regarder de loin comme si c’était une œuvre d’art exposée au musée, c’est justement pour inviter les gens à s’approcher et à remarquer à ce moment-là.
M.K. : Je trouve que ce que tu dis des Tâche rejoins LIFE, car le spectateur va de lui-même faire un travail d’enquête sur les vestiges du dessin, il essaie de voir d’où commence le processus, en bas à droite, en haut à gauche.
H.F. : C’est vrai. Ce n’est pas évident, les gens ne comprennent pas si ce sont de vrais dessins. Ce que j’expose ici est largement interactif.
M.K. : As-tu déjà envisagé de futurs projets ?
H.F. : J’ai beaucoup été inspiré par la réalisation de cette installation. Je sais que cette technique est difficile à réaliser, j’aurais aimé avoir l’Orangerie comme lieu de travail. Comme je l’ai dit, je n’ai pas d’atelier pour le moment donc je suis en arrêt pour mon travail artistique. Si je peux reprendre mon activité bientôt ce serait pour travailler sur les différentes formes d’installations en fil à tricoter. C’est un médium que j’ai adoré travailler, donc ce sera forcément autour de ça. Concernant le projet Tâche difficile, j’ai eu beaucoup de demandes pour des grands formats. Il y a des contraintes qui m’empêchent de travailler ces formats, ils nécessitent un travail d’atelier. Cela veut dire construire les châssis moi-même pour pouvoir les renforcer. Je pense que je ne t’en avais pas parlé, Tâche difficile c’est du papier tendu sur les châssis, ce n’est pas une toile. Le papier est tendu quand il est mouillé, en se séchant il tire énormément sur le bois qui bouge. Je n’ai pas trouvé de châssis qui ne bouge pas dans les magasins. Il faut donc que je renforce la structure avec des baguettes pour assurer le grand format. La prochaine étape serait de faire plus grand.
Site Web de l’artiste Handan Figen